Entre apaisement et évitement : l'avis n° 142 du CCNE sur le consentement

07.04.2023

Droit public

Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rendu son avis sur le consentement et le respect de la personne dans la pratique des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité.

Saisi le 4 juillet 2022 par la première ministre pour « conduire une réflexion approfondie sur la notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques et plus largement tous les examens qui touchent à l’intimité », le Comité consultatif national d’éthique a rendu le 16 février 2023 un avis empreint d’un souci évident d’apaisement.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Rappelons, à toutes fins utiles, que la saisine par la première ministre est intervenue dans un contexte de dénonciations, depuis plusieurs années, d’actes violents ou inappropriés subis en particulier par les femmes à l’occasion de leur suivi gynécologique et/ou obstétrical et la mise en examen d’un éminent médecin pour violences volontaires. L’interpellation des professionnels de santé en général sur l’importance des « violences gynécologiques et obstétricales » a permis, au-delà de la crispation première à l’encontre d’une terminologie entendue par les professionnels comme impliquant une intention de leur part de blesser les femmes dont ils assurent le suivi, d’amorcer une véritable réflexion sur l’état des pratiques. Différentes instances ont été amenées à rendre des avis ou établir des recommandations, à l’instar par exemple, de la charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique sur collège national des gynécologues et obstétriciens français. Comme en échos aux nombreux témoignages de femmes, elles ont généralement mis en exergue l’importance du consentement sans toutefois mener une analyse poussée de ses tenants et de ses aboutissants, analyse qui a donc été confiée au CCNE.

Pour ce faire, le CCNE procède en trois temps : il explicite d’abord « les spécificités et la complexité de la relation de soin lors de la réalisation d’examens intimes » avant de plonger dans « un nécessaire questionnement éthique », qui constitue en réalité le cœur de l’avis, pour enfin retenir certains « repères éthiques pour la préservation d’un cadre respectueux et sécurisant pour les patient(e)s et les soignant(e)s ».

Le CCNE laisse apparaître le délicat tissage d’une relation de confiance et de collaboration dans le cadre médical, délicat par nature et en raison du contexte actuel dans lequel les examens médicaux se réalisent. L’avis entend ainsi faire dialoguer les points de vue et se présente à cet égard comme une démarche de consensus. Mais pour ce faire, le CCNE élude de son champ d’analyse de nombreuses questions au cœur de l’actualité, évitant ainsi d’aborder des difficultés qui auront pourtant sans doute motivé sa saisine.

Place du consentement dans la relation de soin

La place centrale du consentement dans la relation de soin à l’heure d’aujourd’hui ressort nettement de l’ensemble de l’avis du CCNE. Parce que le consentement suppose une information préalable et donc la mise en place d’un dialogue, parce que sa recherche et son respect sont la prise en compte manifeste de la subjectivité de la personne permettant que l’acte soit acceptable et non constitutif d’une intrusion subie et donc potentiellement perçue comme violente, quand bien même elle aurait pour objectif de soigner.

Or, cette attention au consentement de la personne peut être compromise ou devrait être accrue en présence de différentes circonstances dont le CCNE entreprend de dresser une liste qui ne se prétend pas exhaustive : difficulté à faire respecter un refus de consentement à un examen touchant à l’intime ; difficulté à subir des examens en présence d’étudiants ; difficulté à subir des examens pour les femmes victimes de violences sexuelles ; difficulté à subir des examens pour les personnes en situation de particulière vulnérabilité ; difficultés liées aux contraintes pratiques, en particulier au manque de temps lors de la consultation ; difficultés liées à la formation insuffisante des professionnels et professionnelles sur les enjeux d’éthique et de droits des patients.

En miroir de ces difficultés, le CCNE vient rappeler des principes éthiques (et juridiques, même si cette dimension est moins mise en avant) classiques tels que le respect de l’inviolabilité du corps humain et de l’intégrité corporelle et psychique ; le respect de l’autonomie de la personne et le respect de la dignité de la personne. Le CCNE insiste ainsi sur « cette culture du consentement [qui] relève à la fois d’une éthique du regard, de la rencontre et du toucher » (p.22, v. également p.24). Il exprime la nécessité à la fois de la prise en compte de la parole de la patiente « sans suspicion, sans minimisation, sans jugement et dans le respect de la différence, de l’altérité et de la subjectivité » (p.20) et de la possibilité d’un dialogue postérieur à l’acte pour pouvoir redonner sens, le cas échéant, au vécu de la personne par son accueil et par le rappel des objectifs, des contraintes et des éventuels imprévus survenus lors de la réalisation de l’acte (p.25).

Le CCNE souligne ainsi que la culture du consentement est au cœur de l’alliance thérapeutique, laquelle est la plus favorable à la santé, but commun aux deux parties. Aussi, le CCNE plaide en faveur d’un consentement qui ne soit soumis à aucune exigence de forme, mais qui devrait être recherché et recueilli de manière explicite pour chaque acte envisagé (p.26). Il prend également le temps de s’arrêter sur la question du refus de l’acte par la personne qui, conformément aux dispositions légales (et quoique le CCNE suggère une précision du texte, sans doute pour éviter toute ambiguïté aux yeux des professionnels de santé) doit être respecté, mais peut être le point de départ d’une discussion exempte de jugements ou de pressions de la part du professionnel de santé (p.27).

Le CCNE se fait alors l’écho de demandes ou suggestions portées par les associations de patients et les étudiants se destinant à l’une des professions médicales concernées : une implication systématique des associations de patients dans l’élaboration des protocoles de bonnes pratiques notamment et le développement d’un enseignement sur la communication non violente.

Place du consentement dans le contexte de soin

Au-delà de la relation de soin, dans le sens du colloque singulier, le consentement intervient dans un contexte de soin, entendu ici comme au sein d’un système de santé. Or, ce système imprime différentes contraintes qui ne sont pas sans incidence sur le respect du consentement de la personne. Le CCNE se saisit de plusieurs d’entre elles et en particulier sur la question du temps de la consultation, de l’adaptabilité du format de la consultation à des situations particulières et de la formation des futurs professionnels par l’expérience pratique, notamment au sein des centres hospitaliers universitaires.

Ce dernier est sans doute le plus simple et le CCNE rappelle simplement sur ce point une obligation (légale au demeurant) d’obtenir le consentement de la personne avant d’impliquer dans la consultation des étudiants, a fortiori de leur faire réaliser un acte, et ce y compris lorsque les soins sont dispensés dans un centre hospitalo-universitaire. Cette évocation récurrente des étudiants atteste toutefois du décalage qui persiste entre les règles juridiques et les pratiques issues de traditions bien ancrées.

Le CCNE insiste également sur le fait de développer les instruments facilitant la prise en charge de personnes en situation de particulière vulnérabilité, notamment en raison de la barrière linguistique (dispositifs de traduction), d’un handicap (matériel adapté) ou d’un passé de violences qui n’aurait pas été identifié.

Surtout, le CCNE entend faire entendre, en miroir du point de vue des patients et des patientes, la perspective des professionnels et des professionnelles de santé.

La question du temps est ainsi omniprésente tout au long de l’avis. Les cadences des consultations, imposées notamment par la pénurie de personnel, ne laissent pas assez de temps pour instaurer un véritable dialogue et donc faire une réelle place à la subjectivité et l’intersubjectivité de la relation. Corrélativement, les soignants sont poussés à une systématisation des gestes qui les rend moins alertes aux signes de réticence ou de gêne exprimés par les patients, limite leur capacité à s’interroger sur la nécessité ou non de l’acte qu’ils réalisent de manière routinière, etc. Sur tous ces points, le CCNE appelle à la vigilance.

Mais au-delà de la question du temps et des moyens, le CCNE rend compte du vécu de nombreux professionnels de santé face au mouvement de dénonciation des « violences gynécologiques et obstétricales ». Il dresse ainsi une liste de risques redoutés par les professions : risque d’une perte de chance significative pour les patientes si les professionnels n’osent plus réaliser certains actes ou les réalisent dans des conditions dégradées ; risque d’une désaffection de certaines spécialités médicales ; risque d’une surestimation de la fréquence des pratiques professionnelles pouvant relever de qualifications pénales et de la qualification de maltraitance ; risque de l’opprobre jeté sur l’ensemble des professionnels pratiquant des examens touchant à l’intimité et des atteintes ciblées à la réputation via les réseaux sociaux ; risque d’une évolution des pratiques médicales non conforme aux besoins réels des patients.

Ainsi le CCNE, tout en prenant acte et en recommandant la prise en considération de la parole des patients et des patientes, entend néanmoins poser des limites aux critiques adressées aux professions concernées (en particulier médicales) et affirmer son soutien à ces dernières. Cela explique peut-être aussi que certaines questions, pourtant épineuses et d’une haute actualité, aient purement et simplement été évincées du champ de réflexion de l’avis.

Les questions éludées

De nombreux témoignages de femmes ont porté et portent encore sur les circonstances de leur accouchement et sur les actes non consentis, violents ou douloureux qu’elles ont vécus à cette occasion. Les conséquences sont loin d’être négligeables comme ont pu le démontrer les études sur le trouble de stress post-traumatique post accouchement ou sur les incidences sur la relation mère-enfant, les incidences sur le couple ayant à notre connaissance été pour l’heure moins analysées. Parmi ces actes, et pour ne citer qu’elles, se trouvent bien sûr l’épisiotomie non consentie, mais également la césarienne à vif. Or, de fait, ces actes ont été évincés du champ de l’avis, ainsi potentiellement que tous les actes non consentis réalisés lors de l’accouchement puisque « le périmètre de la réflexion n’inclut pas l’étude des gestes médicaux en situation d’urgences obstétricales au cours desquelles le risque fonctionnel ou vital de la mère ou de l’enfant à naître modifie substantiellement l’appréhension des problématiques éthiques liées au consentement des personnes ». Or, la plupart des actes non consentis réalisés au cours d’un accouchement vont être, au moins a posteriori, justifiés par l’urgence, l’accouchement étant fréquemment présenté en lui-même comme une situation d’urgence. Bien sûr, le CCNE invite à ce que des réflexions complémentaires soient menées sur le sujet, l’avis n°142 ne constituant donc qu’une première étape de la réflexion. Mais au regard du contexte de la saisine, le lecteur reste largement sur sa faim.

De même, la réflexion sur les évolutions souhaitables ou non du droit en termes de prévention et de sanction des actes répréhensibles est pour ainsi dire systématiquement éludée alors qu’elle est au cœur de projets de textes législatifs et qu’un avis éthique aurait donc nécessairement été de nature à enrichir les discussions. La lecture de l’avis laisse ainsi l’impression que, pour le CCNE, les questions soulevées par le consentement dans le cadre des examens gynécologiques ou touchant à l’intime restent d’abord des questions médicales qui ont vocation à être saisies par la déontologie et l’éthique plutôt que par le droit.

Elsa Supiot, Professeure en droit privé à l'université d'Angers
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